Comprendre la crise de la zone euro
Comprendre la crise de la zone euro
Introduction
Bien que ce sujet ne soit plus sur le devant de la scène aujourd’hui, la crise de la zone euro n’en demeure pas moins un sujet de premier plan et plus que jamais d’actualité.
La question dépasse très largement les questions conjoncturelles, car la crise de la zone euro tire son origine de défauts originels de la « monnaie unique ». Dans sa structure actuelle, l’euro n’est pas viable, et ce pour aucun Etat-membre.
Nous essayons dans cet article d’expliquer ce que sont ces principaux défauts fondamentaux de l’euro, les conséquences de ces défauts, ainsi que la façon dont ils pourraient être surmontés.
- Saviez-vous ce qu’est l’euro ?
Quand on entend parler de l’euro, les termes de « monnaie unique » (en France) ou de « monnaie commune » (en Allemagne ou au Royaume-Uni) reviennent régulièrement.
Et pourtant : l’euro n’est ni une monnaie unique, ni une monnaie commune. Et cela a de très lourdes conséquences.
Mais comment, donc, définir l’euro ?
- La valeur de la monnaie
Aujourd’hui, une monnaie n’a plus de réalité ni de contrepartie physiques. Il ne s’agit plus que de lignes de code dans les bilans de Banques commerciales et Centrales. En effet, la monnaie fiduciaire (pièces, billets) ne représente plus que 5% environ de la masse monétaire dans la zone euro ou aux Etats-Unis par exemple, alors que la monnaie scripturale (virtuelle) en représente 95% environ.
Cette monnaie virtuelle n’a pas de valeur intrinsèque, car cette valeur ne dépend que d’une seule chose : de la confiance des agents économiques en ce moyen de paiement. Or, la confiance que l’on peut accorder à une monnaie dépend largement de la confiance que l’on croit pouvoir placer en une Banque centrale, puisque c’est cette institution qui a reçu pour mandat d’en assurer la gestion.
- L’organisation de l’UEM
L’Union économique et monétaire (UEM, ou « zone euro ») n’est pas uniquement centrée autour de la BCE : les Banques centrales nationales (BCN) existent toujours.
Pourquoi ? Il eût pourtant été bien plus simple, lors de la création de l’euro, de créer la BCE et de supprimer les BCN, avec une seule Banque centrale pour une même zone monétaire, comme il est d’usage. Ce choix étonnant est dû à la volonté allemande de concevoir un euro facilement réversible sur un plan technique, car les experts allemands – notamment à la Bundesbank – se méfiaient déjà d’éventuelles conséquences néfastes pour leur économie et leur système financier. En effet, avec toutes les BCN conservées, remettre une monnaie nationale en circulation en urgence est aisé et ne demande que de très courts délais.
Mais ce choix originel a de multiples conséquences.
Il faut savoir que puisque les BCN existent toujours, les euros détenus en France seront inscrits au bilan de la Banque de France, et ceux détenus en Allemagne, à celui de la Bundesbank.
Dans la section précédente, nous expliquions que la valeur d’une monnaie dépendait largement de la confiance que les agents économiques accordaient à la Banque centrale émettant la devise en question, ainsi qu’en la santé économique de l’Etat en question.
Or, nous venons d’expliquer qu’il y a autant de Banques centrales et de situations macroéconomiques dans la zone euro que d’Etats-membres.
Par conséquent, en réalité, l’euro n’existe pas en tant que tel et il y a donc autant d’euros différents que d’Etats-membres de cette zone monétaire : un euro français, un euro allemand, grec…etc.
L’Union monétaire que représente l’euro est très fragile. Et elle dépend de quelques principes :
- Les différentes monnaies nationales s’appellent « euro » (et non plus Franc Français, Deutsche Mark…),
- Et ces différents euros sont librement échangeables au taux fixe (au « peg ») de 1 pour 1, et ce sans aucune limitation.
Nous insistons : il existe donc, en réalité,
- 1 euro français,
- 1 euro allemand,
- 1 euro italien,
- 1 euro espagnol,
- Etc…
Les monnaies nationales n’ont pas tout à fait cessé d’exister, techniquement.
Et cela est pour beaucoup dans les déséquilibres monétaires et financiers actuels de la zone euro, lesquels menacent fortement la pérennité de la « monnaie unique ».
- Les déséquilibres de la zone euro
Dans la zone euro, tout diverge, des déséquilibres se créent, et il s’agit du problème fondamental de cette zone monétaire. Ces déséquilibres sont principalement de natures financière et commerciale.
- Déséquilibres financiers
Nous avons expliqué qu’il existait plusieurs euros d’un point de vue technique, et que l’Union monétaire ne reposait que sur la garantie que tout euro puisse être échangé librement et sans aucune restriction au taux de 1 pour 1.
Pourtant, toutes les Banques centrales nationales (BCN) n’ont pas le même bilan, ni le même niveau de fiabilité aux yeux des investisseurs. L’économie allemande n’est évidemment pas dans la même situation que celle grecque.
Par conséquent, si le marché déterminait librement la valeur du Deutschemark allemand contre la Drachme grecque, la devise germanique serait bien plus forte que celle hellénique…
En décrétant que la monnaie grecque s’échange désormais au taux de 1 pour 1 contre celle allemande (puisque 1 euro = 1 euro), on a déterminé une variable macroéconomique essentielle de façon arbitraire, et non plus selon les lois du marché.
Or, les investisseurs pensent toujours que la monnaie allemande vaut davantage que celle grecque. Et c’est effectivement le cas. Les marchés ont contourné et travesti la structure même de l’euro.
Prenons un exemple très simple :
- Vous détenez une automobile Toyota d’une valeur de 14.000 €,
- Et un autre propriétaire détient, lui, une Mercedes d’une valeur de 50.000 €.
- Si l’Etat décrète du jour au lendemain que votre Toyota a la même valeur que la Mercedes (taux de 1 pour 1) et que le propriétaire de la Mercedes n’a pas le droit de refuser de l’échanger contre votre Toyota (l’euro échangeable sans restriction au sein de la zone euro), alors…
Vous échangerez évidement votre Toyota (Drachme puis euro grec) contre la Mercedes (Deutschmark puis euro allemand).
Et c’est le phénomène que l’on peut observer sur ce graphique :
Il s’agit du solde Target 2. Le système Target 2 est un système permettant de transférer automatiquement les euros du bilan d’une Banque centrale à celui d’une autre au sein de l’UEM. Dès qu’un mouvement de capitaux est réalisé (paiement, investissement…), ces euros passent par cette plateforme.
Nous rappelons qu’un euro détenu en France est adossé à la Banque de France, et qu’un autre euro, détenu en Allemagne, sera lui adossé à la Bundesbank. Dans la mesure où ces euros sont librement échangeables au sein de l’UEM, sans aucune restriction possible, ce système Target 2 a été créé pour gérer les compensations entre les bilans des différentes BCN.
Quelques précisions :
- Ce graphique représente les soldes Target 2 nationaux,
- Les Etats dont le solde est représenté au-dessus de l’axe horizontal est positif,
- Et inversement, ceux dont le solde est représenté au-dessous de l’axe horizontal est négatif,
- Noter que l’Allemagne est représentée en rouge, très largement en positif.
Ce que nous pouvons en conclure, c’est qu’à un taux de 1 pour 1 les investisseurs considèrent que vendre x(1) drachmes pour acheter x(1) Deutschemark est une bonne affaire.
La conséquence de ce comportement des investisseurs est que l’on constate une très forte fuite des capitaux du sud de l’Europe vers le nord, et particulièrement, vers l’Allemagne.
La Banque centrale allemande, très solide, se voit donc submergée de créances sur des Banques centrales d’Europe du sud (Portugal, Grèce…) dont le bilan est moins irréprochable. Les niveaux de ces créances atteignent des niveaux stratosphériques (950 milliards d’euros environ).
Et ces créances sur des Etats d’Europe du sud, moins solvables que l’Allemagne, sont considérées outre-Rhin comme des créances « pourries » mettant en danger la stabilité monétaire du pays (une hyperinflation pourrait survenir en cas de défauts importants sur ces créances).
En conclusion, nous pouvons remarquer à ce sujet que :
- Ce phénomène permet de saisir, en un graphique, l’ampleur de l’instabilité de la zone euro,
- Ainsi que de comprendre pourquoi l’Allemagne craint que la situation ne s’aggrave, car avec cette divergence du système Target 2 son système financier et monétaire se retrouve très vulnérable.
- Déséquilibres commerciaux
Il est ici nécessaire de revenir sur la fonction première du marché des changes : non, c’est n’est pas la spéculation…
Sur un plan macroéconomique, un marché des changes sert à sanctionner des différences de compétitivité. Ainsi, à taux de change égal, un Etat très compétitif et économiquement avancé (France, Allemagne, Etats-Unis…) écrasera fatalement les Etats les moins avancés économiquement. Le fait qu’un Etat peu avancé économiquement bénéficie d’un taux de change plus faible rend ses facteurs de production (pour l’investissement) et sa production (pour les échanges commerciaux) plus attractifs pour des investisseurs ou consommateurs étrangers.
Une monnaie faible permet de gagner en compétitivité.
Et réciproquement, une monnaie forte induit un pouvoir d’achat supérieur.
Concernant la zone euro, nous avons dans cette zone monétaire à la fois des Etats très compétitifs – typiquement, l’Allemagne – et d’autres très peu compétitifs : la Grèce, le Portugal…
L’Allemagne et la Grèce, pour prendre cet exemple, ont pourtant des monnaies d’une valeur égale.
Par conséquent, l’Allemagne voit s’accroître de façon phénoménale son solde commercial positif (exportateur), sans qu’une appréciation de sa monnaie ne permette un rééquilibrage.
La Grèce, de son côté, voit s’accroître son solde commercial négatif (importateur) sans qu’une dépréciation de sa monnaie ne puisse permettre un rééquilibrage de sa balance commerciale.
L’adoption de cette « monnaie unique » par des Etats aux économies extrêmement diverses, en termes notamment de compétitivité, favorise donc des déséquilibres macroéconomiques très importants. Cela aboutit, in fine, à un enrichissement des Etats les plus avancés, et à un appauvrissement de ceux qui le sont moins.
- Peut-on sauver l’euro ?
Nous l’avons vu, à court-terme, l’Allemagne bénéficie de l’euro aux dépens d’Etats moins compétitifs (Espagne, Grèce, Portugal, France…).
Mais à long-terme, les perspectives se renversent, et l’accumulation structurelle par la Banque centrale allemande de créances toxiques sur l’Europe du sud fait courir un risque majeur à la stabilité monétaire allemande.
Il semble que l’euro, en l’état, ne satisfasse les intérêts d’aucun Etat-membre. Pourtant, des solutions existent sur un plan théorique.
Le concept de zone monétaire optimale (ZMO) a été développé par l’économiste canadien G. Mundel, qui a reçu le prix Nobel pour ces travaux en 1999.
Une zone monétaire optimale est un concept théorique décrivant les caractéristiques que soit présenter une zone monétaire pour que celle-ci soit optimale, et donc efficiente et viable à long-terme.
Il y a différents moyens pour qu’une zone monétaire corresponde à ce concept.
Il est d’abord possible que la zone monétaire en question présente une homogénéité macro et microéconomique. En ce cas, on n’observerait pas de phénomène de divergence macroéconomique. Mais la zone euro comprend des Etats très avancés économiquement, et d’autres qui le sont bien moins. Une convergence des politiques économiques et un budget commun pourraient permettre de palier ces disparités à long-terme. Malheureusement, la zone euro n’en a pas encore pris le chemin, et cela demanderait beaucoup de temps : la zone euro éclaterait sans doute avant.
Toujours sur la base de ce même concept, un autre moyen serait envisageable : accroître les transferts financiers au sein de l’UEM.
Nous avons vu que les Etats les plus compétitifs bénéficient du partage d’une même monnaie avec des Etats moins avancés, aux dépens de ces derniers. Pour compenser ce phénomène, les Etats bénéficiant de l’euro devraient financer ceux pour lesquels l’euro est un handicap. Il s’agit d’une condition à la viabilité de l’euro. Sans cela, l’euro exerce une pression centrifuge sur les Etats de l’UEM, favorisant une bonne santé économique pour les plus avancés, et appauvrissant les Etats les moins développés. Ces transferts auraient pour rôle de stabiliser la zone monétaire, en compensant ce phénomène d’aggravation des divergences macroéconomiques entre les Etats-membres.
Mais rien de tel n’a été mis en place à ce jour. En effet, ces transferts financiers massifs nécessiteraient l’approbation des peuples concernés. Et les Allemands n’accepteraient pas de « payer pour les Grecs ». De cultures différentes, les différents peuples de la zone euro ne partagent pas de fort sentiment de solidarité, et n’accepteraient donc pas de tels transferts financiers.
Politiquement, une telle mesure ne serait jamais acceptée par les opinions publiques des différents Etats-membres les plus avancés.
Ce même problème politique s’oppose aussi, par exemple, à une mutualisation partielle de la dette des Etats-membres de l’euro (par exemple, jusqu’à 60% du PIB). Une véritable convergence des politiques économiques au sein de la zone euro est aussi entravée.
Les caractéristiques nationales en matières politique et culturelle sont sans doute l’obstacle le plus difficile qu’auront à dépasser les partisans du maintien de l’euro. Car ces différences politiques et culturelles créent, alimentent ou rendent irrémédiables la plupart des problèmes menaçant cette « monnaie unique ».
CONCLUSION
La zone euro connaît de graves difficultés dues à des défauts originels et fondamentaux. Des Etats ont décidé de partager une même monnaie sans, dans le même temps, réaliser l’intégration de leurs politiques économiques.
Cette situation bénéficie fortement à l’Allemagne, qui voit ses exportations exploser aux dépens des Etats d’Europe du sud.
Mais à long-terme, l’Allemagne se trouve menacée elle aussi par une possible forte dégradation du bilan de sa Banque centrale.
Ces déséquilibres croissants dans la zone euro consistent en un appauvrissement des Etats les moins avancés, qui doivent réaliser des « dévaluations internes » (baisser leur niveau de vie) puisqu’une dévaluation monétaire n’est plus possible. Cette divergence des économies de la zone euro ne pourra qu’aboutir à un éclatement de cette zone monétaire.
Néanmoins, il serait possible, théoriquement, de pallier ces dynamiques destructrices par une intégration plus avancée : un budget commun et des transferts financiers massifs, des politiques économiques communes, une mutualisation partielle des dettes souveraines des Etats-membres…etc.
Mais politiquement, de telles mesures seraient terriblement délicates à justifier auprès des Etats les plus avancés, qui devraient « payer pour » ceux dont la productivité est plus faible.
Quelle que soit l’évolution de cette crise, celle-ci n’est pas terminée.
Cette question fera son retour sur la scène médiatique dès que certains Etats se retrouveront à nouveau devant de graves problèmes de solvabilité, ou dès qu’une contestation sociale se généralisera dans les Etats qui en pâtissent.
Quelle réponse les gouvernements seront-ils en mesure d’opposer ?